Par Thierno DIALLO – Afrique Connection

C’est un véritable cri d’alarme que le Dr Mohamed Ly et son ONG, l’Association française du cœur pour l’Afrique de l’ouest (AFCAO), ont poussé jeudi soir à Paris, devant un parterre de diplomates africains et d’associations de la diaspora. Le but : conscientiser les dirigeants africains sur la nécessité et l’urgence de mettre les moyens qu’il faille pour sauver les centaines d’enfants qui naissent chaque année sur le continent avec une maladie cardiaque. En savoir plus…

En  Afrique, près de 500 000 enfants naissent chaque année avec des malformations cardiaques. Mais, face à cette maladie dont le traitement exige une technicité ultra-moderne et qui coûte excessivement cher, combien d’enfants ont-ils une once de chance d’être traités ? Combien en survivent-ils ? Les réponses de l’Association française du cœur pour l’Afrique de l’ouest (AFCAO) font froid au dos : plus de 9 enfants sur 10 n’auront pas accès aux soins, et 80 % d’eux mourront faute de structures médico- chirurgicales.

C’est là toute l’essence même du combat de cette ONG dont le but est de « sauver un maximum d’enfants en Afrique »; mais nourrit aussi l’ambition de créer un centre spécialisé en Afrique de l’ouest, de former le personnel médical sur place, et d’éduquer les populations pour prévenir les maladies cardiaques.

“Il était hors de question pour moi de croiser les bras et de dire je suis à Paris et je je ne peux rien faireAlors, pourquoi nous d’autres devrions nous rester pour ne rien faire. C’est pourquoi je me battrai jusqu’au bout”

L’AFCAO est fondée et dirigée par Dr Mohamed Ly, spécialiste des cardiopathies congénitales, qui exerce depuis une quinzaine d’années au Centre de Chirurgie Cardiaque Marie Lannelongue au Plessis- Robinson, en région parisienne.

« J’étais plus qu’un adolescent quand je suis parti de l’Afrique. Donc, je sais ce qui ne va pas là-bas. J’ai eu cette chance d’être là, de fréquenter de grandes institutions en chirurgie, de devenir professeur. Donc il était hors de question pour moi de croiser les bras et de dire je suis à Paris et je je ne peux rien faire. Surtout que j’ai vu des associations qui font ce qu’ils peuvent pour aider. Alors, pourquoi nous d’autres devrions nous rester pour ne rien faire. C’est pourquoi je me battrai jusqu’au bout », a t-il expliqué à Afrique Connection, en marge d’une conférence tenue jeudi 19 octobre à l’Hôtel de l’Industrie, dans le 6earrondissement de Paris, pour justifier son engagement humanitaire.

Depuis 2001, Dr Ly et les volontaires de l’ONG multiplient les missions humanitaires sur le continent pour sauver des enfants nés avec un problème cardiaque. Au début, l’association n’œuvrait qu’en Mauritanie, pays d’origine du cardiologue. Mais, face à la demande, elle ne tardera pas à se déployer vers d’autres pays de la sous-région, ce qui explique l’évolution de l’acronyme de l’ONG, qui devient ainsi AFCAO. Toutefois, ses interventions humanitaires vont aujourd’hui au-delà de l’Afrique de l’Ouest.

En tous les cas, voilà plus de quinze ans que les volontaires de l’association multiplient les interventions chirurgicales sur le continent pour tenter de sauver des enfants, et parfois même des adultes. La dernière en date remonte à mai dernier, en Côte d’Ivoire. 23 enfants et deux adultes ont été opérés lors de cette mission qui s’est déroulée à l’Institut de Cardiologie d’Abidjan, en partenariat avec la Fondation Chlidren of Africa de la Première Dame de Côte d’Ivoire, Dominique Ouattara.

“C’est une cause qui reste trop méconnue et qui pourtant nécessite une prise en charge spécifique puisque c’est une des principales causes de handicap par la suite. C’est une des principales cause de mortalité de l’enfant”

Justement, c’est pour faire le compte rendu de cette mission et tirer le bilan de toutes les missions que l’AFACO a organisé la conférence de jeudi dernier. Dans la salle, des médecins, infirmiers, responsables d’associations, mais aussi et surtout des diplomates de la sous-région. Il y avait notamment l’Ambassadeur de la Guinée en France, celui de la Côte d’ivoire à la Francophonie, et un représentant de l’Ambassade du Mali.

« En Afrique on entend beaucoup parler de la malnutrition, de violences envers les enfants, mais on ne parle pas assez de la cardiopathie congénitale. C’est une cause qui reste trop méconnue et qui pourtant nécessite une prise en charge spécifique puisque c’est une des principales causes de handicap par la suite. C’est une des principales cause de mortalité de l’enfant », a fait remarquer Dr Sébastien Hascoet, cardiologue spécialiste en cathétérisme.

“S’ils n’avaient pas eu la chance de bénéficier de cette expertise, leur durée de vie n’excéderait pas les 17- 18 ans”

« Tous ces enfants sont considérés comme guéris, ils sont redevenus des enfants normaux. S’ils n’avaient pas eu la chance de bénéficier de cette expertise, leur durée de vie n’excéderait pas les 17- 18 ans », a pour sa part précisé le Professeur Rémi Seka, Directeur Général de l’Institut de Cardiolgie d’Abidjan.

Le président de l’ONG, Dr Mohamed Ly, s’exprimera plus longuement. Tantôt poussant un cri d’alarme, tantôt faisant un appel du pied aux diplomates africains dans la salle.

« Il faut trouver des solutions. Ce qui nous impose de travailler ensemble, d’essayer de bâtir une plate-forme. Et on ne peut pas y arriver tous seuls. Il nous faut donc des partenaires qui nous aident à avancer. Et avancer c’est former d’abord, éduquer nos populations, mais surtout responsabiliser nos gouvernements. Il y en a qui ont la possibilité d’affréter un avion sanitaire, de faire évacuer des gens assez facilement. Et les autres ? On oublie qu’au-delà d’avoir la malchance de naître avec une cardiopathie, il y a des enfants qui sont bien portants mais tombent malades à l’âge du préscolaire, parce qu’ils ont eu une angine dans leur petite enfance qui n’a pas été traitée », a lancé Dr Ly, devant un auditoire très attentif.

“Dans les discours, on entend parler d’éducation et de santé comme priorités, mais on ne voit rien”

Avant de jeter ce pavé dans la mare des politiques et autres décideurs africains : « On laisse facilement aux ONG d’organiser les choses parce que c’est plus simple. Ce sont les ONG qui font le maximum, de l’éducation à la formation. Il y a très peu d’implications de nos politiques. »

Puis de porter l’estocade, quand il sera interpellé plus tard par Afrique Connection :

« Le gros problème, initialement, c’est le manque de vision politique. Mais là actuellement je dirai qu’il manque de volonté politique, parce qu’il y a des ressources, mais ces ressources ne sont peut-être pas allouées aux priorités. Dans les discours, on entend parler d’éducation et de santé comme priorités, mais on ne voit rien. Vous arrivez dans un hôpital public en Afrique, je ne dirai pas que c’est un mouroir mais en tout cas vous n’avez pas trop envie d’y rester. Sauf si on n’a pas les moyens. Rien n’est fait pour essayer de performer, de donner beaucoup plus de possibilités aux valeureux médecins qui sont restés, aux valeureux infirmiers et paramédicaux qui n’ont pas de moyens pour faire face au désastre créé par la maladie. »

 14 personnes, personnes debout et costumeImage Par Adérito Ben-David

Cependant, l’AFCAO estime que les missions humanitaires en Afrique (en moyenne deux par an), ne sont pas une solution. La solution n’est non plus l’évacuation sanitaire vers l’Europe par exemple, qui coûte des dizaines de milliers d’euros. Partant de ce constat, l’ONG nourrit depuis des années un projet de construction d’un centre de cardiologie dédié en Afrique de l’Ouest. Ce dernier sera érigé à Dakar. Selon nos informations, les travaux débutent début 2018. Ils dureront 16 à 18 mois. Mais, prévient Dr Mohamed Ly, « il ne s’agit pas d’apporter des sous et de construire les quatre murs. » Décryptage de son message : la chirurgie cardiaque exigeant une technicité sophistiquée, ultra-moderne, et un personnel hautement qualifié et mis dans de bonnes conditions de travail, il faudra donc mettre la main à la patte pour que ce futur centre ne soit pas une coquille vide.

À l’hôtel de l’Industrie, jeudi dernier, les diplomates de la sous-région ont pris note. Et promis d’être les porte-parole de l’ONG auprès de leurs gouvernements respectifs. Tout comme les responsables associatifs, qui se sont engagés à ne ménager aucun effort dans la réalisation des objectifs de l’AFCAO.

Thierno DIALLO, Afrique Connection